Luc Royer est un témoin privilégié de l’univers du vélo d’aventure. Depuis une dizaine d’années, il façonne, sous le label Chilkoot, des événements cyclistes qui font la part belle à la découverte des territoires et au partage entre baroudeurs. Des expéditions plutôt que des compétitions qui s’inspirent de la tendance bikepacking. En artisan de l’itinérance, le créateur de la fameuse Born to Ride, nous parle de sa passion pour cette pratique dans l’air du temps, mais aussi de son enthousiasme pour le gravel qui sera au cœur d’une nouvelle épreuve autour du Mont-Blanc fin septembre 2020.
Passé par le magazine Vélo Vert au début des années 1990, Luc Royer s’est emparé, il y a une dizaine d’années, d’un nouveau support pour raconter de belles histoires de vélo.
Une approche minimaliste du voyage à vélo
Fasciné par les grandes expéditions et l’univers des pionniers — il a baptisé son organisation Chilkoot — ce lecteur assidu de Jack London et de Robert Louis Stevenson a jeté toute sa passion dans la création d’épreuves cyclistes d’exception. Des événements cousus main, directement inspirés de la tendance bikepacking, une approche minimaliste du voyage à vélo qui concentre, selon lui, toutes les valeurs de l’aventure nouvelle génération. « En faisant évoluer la façon de transporter nos effets personnels, le bikepacking a, en quelque sorte, réinventé le cyclotourisme », estime ce jeune quinqua.

L’expérience du nomadisme à vélo
« Mais avant d’être un mode de portage, cette tendance est surtout un état d’esprit, une invitation à profiter des paysages, à s’immerger dans les territoires. Pour les sédentaires que nous sommes, c’est la possibilité ponctuelle d’expérimenter le nomadisme, de vivre au rythme du soleil, d’éprouver les aléas de la météo et de poser un peu les réseaux sociaux et le chrono. » Une déconnexion en somme, ou plutôt un dépaysement. Sans promesse d’antipode pourtant. Car les événements estampillés Chilkoot ne transportent pas au bout du monde, au contraire, ils misent sur le pouvoir du vélo pour faire jaillir l’extraordinaire de la proximité, le merveilleux du familier. Une affaire de regard sans doute, de poésie pourrait-on oser, à laquelle un montagnard dans l’âme ne peut que se montrer sensible.
Vélo gravel et bikepacking : la chasse au gramme
Jadis arpenteur inépuisable des sommets de son « cher Queyras », Luc Royer, l’alpiniste reconverti à la pédale, établit volontiers des liens entre les deux pratiques. Sur le rapport au matériel, en particulier. « L’alpinisme, que j’ai beaucoup pratiqué entre 18 et 30 ans, est un univers où volume et poids occupent toutes les pensées. On retrouve cette préoccupation dans le bikepacking. Le vélo dispose d’une capacité de chargement limitée et les kilos en trop constituent un frein à la mobilité », explique cet amateur de l’écrivain naturaliste américain John Muir. Pour lui, la chasse au gramme fait partie intégrante de la pratique. C’est l’aventure avant l’aventure. « Le plaisir naît avant même de prendre la route, dans les cartes, dans la sélection du matériel. Chaque sortie se prépare minutieusement comme une expédition. S’alléger devient une source de performance. »

Vers la sobriété heureuse ?
Une philosophie aussi. Le minimalisme qui caractérise le bikepacking ne fait-il pas écho à cette « sobriété heureuse » brandie de plus en plus face aux dérives de la société de consommation ? « Certains voient une forme de pureté dans le dénuement qu’implique le bikepacking. On trouve une satisfaction à parcourir tel ou tel tracé avec le moins de matériel possible », confirme Luc Royer. Même si la quête de légèreté passe aussi par l’achat d’équipements toujours plus compacts et plus onéreux. « Le gramme coûte cher », reconnaît celui qui s’est établi dans le Luberon. « A l’origine, le matériel était emprunté à d’autres univers comme l’alpinisme et le trail. Mais l’engouement pour le bikepacking a conduit les marques à développer des produits spécifiques de plus en plus performants. Aujourd’hui, il y a un vrai travail de recherche pour répondre aux problématiques du nomadisme à vélo. »
Car la discipline joue à plein la carte de l’autonomie. Les adeptes du bikepacking assument la gestion de leurs réserves alimentaires, de leur navigation et surtout de leur hébergement. A la belle étoile, en bivy, sous tente, en chambre d’hôtes ou à l’hôtel, à chacun son style, ses moyens et son degré d’engagement.
Fraternité entre cyclistes
Proximité, sobriété, autonomie, un triptyque salvateur pour redéfinir, dans une époque en pleine crise environnementale, le sens de l’aventure ? La base d’un scénario que Luc Royer applique méthodiquement dans chacune de ses réalisations vélocipédiques en y distillant un autre ingrédient indispensable : la fraternité entre cyclistes. « Les départs ont des allures de cousinades. Les participants se retrouvent, s’embrassent, se donnent l’accolade. La Born to Ride ressemble un peu à une réunion de famille du bikepacking et des cyclistes de longue distance. Ça fait chaud au cœur ! » La Born to Ride ou BTR pour les intimes. L’épreuve phare de Chilkoot, symbolise à elle seule, l’essor actuel du bikepacking. « Nous étions sept à rouler l’édition inaugurale en 2012. Alors que les 300 places de la BTR 2020 ont été attribuées en quelques heures », résume le créateur de l’événement.

Born to try
Un format dans l’air du temps qui vient concurrencer les cyclosportives en offrant l’expérience du dépassement de soi sans le joug de la compétition. Car la BTR n’est pas une course, même si son règlement impose le respect de délais qui exigent des capacités d’endurance indéniables. « Il s’agit de parcourir 1200 km en 120 heures. Sur le papier, cela ne représente que 10 km/h de moyenne, mais plus concrètement, il faut être capable d’enchaîner 5 jours à 250 km par tranche de 24 heures », détaille Luc Royer. Pas forcément à la portée du premier venu. Alors pour ouvrir les portes du bikepacking au plus grand nombre, le fondateur de Chilkoot propose désormais la Born to Try. Une petite sœur de 600 km, toujours avec 5 jours de délai, pour s’essayer à la pratique. « C’est la première fois que je propose cette option et les 250 places sont parties en quelques jours, c’est dire l’engouement actuel pour l’itinérance à vélo. »
La tentation du chemin
A l’origine du succès de la BTR également, une thématique et un parcours qui se renouvellent chaque année. Après les cathédrales, les monts, les phares, les citadelles, l’épreuve cédera en 2020, en référence à Jack London, à l’appel des forêts entre Rambouillet et Aragnouet, dans les Pyrénées. « Même si ça reste un événement 100% asphalte, le tracé va naviguer au cœur des plus grandes et plus belles forêts françaises », commente Luc Royer.
La tentation de la piste, du chemin, n’est pas loin. Mais une BTR gravel ne semble pas être pour tout de suite, même si l’organisateur en chef y réfléchit et ne cache pas son enthousiasme pour cette pratique. « Le gravel est par nature, plus proche de l’esprit pionnier. C’est le vélo des origines, celui des années 1910-20, des premiers Tours de France qui s’effectuaient à l’époque sur des routes non asphaltées. » Un retour en grâce passager ? Probablement pas tant le gravel semble correspondre aux aspirations et aux besoins actuels. « Une des raisons de son essor, en tout cas en France, c’est vraiment la problématique de la dangerosité de la circulation routière. Avec le gravel, on s’évade, on quitte la route, on chemine au cœur de la nature. Son succès vient aussi de son côté vélo à tout faire. C’est le vélotaf idéal, beaucoup plus qu’un vélo de route. Il a un look plus baroudeur, des pneumatiques qui permettent d’évoluer sur toutes les routes quelle que soit la saison, il est plus passe partout, bref, c’est une parfaite monture de tous les jours. » Et un compagnon de voyage zélé. Le bikepacking version gravel, est, selon Luc Royer, la tendance la plus dynamique du moment.
Le Mont-Blanc en mode gravel
Présent sur le segment depuis 2015 avec le Cuneo Monaco Classico, Chilkoot proposera en 2020 un nouvel événement épique qui associera routes et pistes. Son nom : la Gravel Mont-Blanc. « Elle suscite beaucoup d’intérêt auprès des trailers qui connaissent bien le secteur grâce à l’UTMB® (NDRL : Ultra-Trail du Mont-Blanc) », annonce Luc Royer. « Le tracé empruntera la route du Val Cenis et du Val Ferret, mais aussi un maximum de sentiers et de pistes “jeepables ”. Le parcours sera assez exigeant car il y aura du dénivelé. On n’échappera pas à certains tronçons de poussage et de portage même si le but est que les gens soient un maximum sur leur vélo. Le Mont-Blanc c’est mythique. Réunir cette dimension montagnarde, le vélo et le bivouac, ça me plait beaucoup ! » Au programme 175 km à parcourir entre le 25 et le 27 septembre 2020.
Crédits photos : Marion Crosnier – Chilkoot – Cédric Vannieuwenhuyse – Maksymilian Gadomski