La filière cycle est-elle en train d’ouvrir grand ses portes aux candidates féminines ? La parité est encore très loin d’être atteinte, mais un nombre croissant de femmes, souvent en reconversion professionnelle, choisit de rejoindre la filière. Quelles sont leurs motivations ? Quel regard jettent-elles sur leur métier et le monde du vélo ? A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous avons donné la parole à 5 collaboratrices et partenaires de Cyclable. Elles partagent leur ressenti sur la situation actuelle et leur vision pour l’avenir.
Le point sur le vélo au féminin
Au sein des pelotons visibles à la télévision, des hommes et encore des hommes… Assurément, sur la scène médiatique, les coureurs masculins tiennent le haut du pavé. Mais en dehors du champ des caméras, les femmes pédalent et œuvrent en nombre au développement du vélo. Au XXIe siècle, la petite reine reste un puissant instrument d’émancipation.
Des pratiques en vogue comme l’itinérance ou le gravel doivent leur essor à une forte implication féminine. Des événements tels que la MadJacques qui allient aventure et convivialité font le plein de participantes. En moyenne, 53 % des engagés sont des femmes.
L’élan général actuel vers le vélo comme solution de mobilité est lui aussi pleinement accompagné par les femmes. Même si les hommes restent plus nombreux à se déplacer à bicyclette, la multiplication récente des infrastructures cyclables tend à réduire l’écart. La démocratisation du vélo à assistance électrique (VAE) et des vélos cargo favorise également la mise en selle du public féminin. Car majoritairement, le transport des enfants ou des courses lui incombe. Même à vélo, difficile de se départir de ce bon vieil héritage patriarcal…
Et côté coulisses ? Dans l’univers professionnel du cycle, les femmes restent largement minoritaires. Lentement, toutefois, les mentalités évoluent. De plus en plus, elles accèdent à des postes encore récemment monopolisés par les hommes : mécaniciennes, cheffes d’équipe, managers…
Parce que nous croyons aux bienfaits de la mixité, chez Cyclable, nous encourageons ce processus de féminisation de la filière. Le réseau emploie actuellement 25 femmes dont 14 au sein des équipes support à Lyon et 11 en magasin. Moyenne d’âge de nos collaboratrices 35 ans, pour 3 ans d’ancienneté. A elles la parole !
Sylvia Noiret

Age : 44 ans
Profession : responsable du Pôle SI (Système d’Information) chez Cyclable
Le vélo pour elle : courtes itinérances en famille pendant les vacances
Son parcours : Je suis arrivée chez Cyclable en septembre 2020. Avant, j’exerçais dans un grand groupe d’expertise comptable. J’avais envie de travailler dans une entreprise à plus petite échelle. J’étais motivée aussi par le fait que Cyclable partage bon nombre de mes valeurs, autour de la mobilité douce, notamment.
Sa vie à vélo : Je ne viens pas travailler à vélo, mais j’aimerais bien. Je n’habite pas très loin, malheureusement le parcours n’est pas sécurisé. La peur des voitures est un obstacle que je n’arrive pas à surmonter. Avec une piste cyclable en site propre, je me mettrais au vélotaf, sans aucun doute.
Mon arrivée chez Cyclable m’a toutefois encouragée à monter en selle pour les vacances. L’an dernier, en pleine crise sanitaire, on a annulé notre séjour à l’hôtel pour improviser une itinérance de 3 jours avec nos garçons de 11 et 16 ans, entre Chalon-sur-Saône et Mâcon. Tout le monde a été séduit par l’expérience. On a donc décidé de remettre ça, cette année, sur la Dolce Via, en Ardèche.
La place de la femme dans son métier : dans mon ancien boulot, je travaillais au sein d’une équipe de 30 personnes. J’étais la seule femme. Cette surreprésentation des hommes dans mon univers professionnel ne m’a jamais pesé plus que ça. Mais je suis persuadée que les femmes peuvent apporter beaucoup à l’univers de l’informatique et du numérique. En termes de communication, notamment. Avec leurs propres codes et leur jargon impénétrable, beaucoup de services informatiques font un peu boites noires renfermées sur elles-mêmes. Les femmes ont les atouts, il me semble, pour jouer la carte de l’ouverture et tisser des liens avec le reste de l’entreprise. En tout cas, c’est dans ce sens que j’oriente mon travail personnel.
Chez Cyclable, au siège, j’ai le plaisir de croiser beaucoup plus de femmes. En plus d’être agréable dans les relations du quotidien, cette mixité est une richesse sur le plan professionnel.
Ses pistes pour faire changer les choses : dans mon ancienne boite, les femmes occupaient une place importante, près de 70% de l’effectif global, mais les associés étaient presque exclusivement des hommes. Pour que les choses bougent en profondeur, il faut que les femmes puissent accéder en nombre aux postes à responsabilité et aux sphères où sont prises les décisions.
Un vélo ou une bicyclette ? : dans mon esprit, le vélo est plutôt féminin. On ne dit pas la petite reine par hasard ! Je me réjouis d’ailleurs de voir que la pratique se féminise de plus en plus. J’étais récemment à Paris pour une réunion avec les franchisés Cyclable. On est tous partis de la gare avec un vélo pliant Brompton. Sur la route, on a croisé autant de femmes que d’hommes à vélo. Ce grand élan général autour du vélo comme mode déplacement est vraiment encourageant.
Camille Dumont

Age : 32 ans
Profession : manager de secteur Paris chez Cyclable
Le vélo pour elle : un mode de vie
Son parcours : j’ai un Master en Histoire de l’Art. J’ai commencé ma carrière comme assistante d’exposition avant d’entamer une reconversion en 2017. J’ai décidé de passer mon CQP (certificat de qualification professionnelle) cycle. En tant que femme, c’était important pour moi de pouvoir asseoir mon discours par un bagage technique reconnu. Après avoir travaillé pour une autre enseigne nationale du cycle, j’ai intégré Cyclable il y a deux ans. Le réseau promeut le vélo comme compagnon de vie. Cette idée m’a tout de suite séduite. Elle rompt avec l’élitisme du cyclisme sportif. Chez Cyclable, le vélo est un instrument du quotidien accessible à tous.
En deux ans, j’ai parcouru beaucoup de chemin. J’ai commencé comme vendeuse à la boutique de Paris 12, puis je suis passée cheffe d’équipe avant de devenir manager de secteur.
Sa vie à vélo : le vélo me suit partout. C’est mon mode de déplacement principal. Je fais une bonne quarantaine de kilomètres par jour. J’accompagne mon fils à la crèche, je pédale d’une boutique Cyclable à une autre, je fais des balades le week-end… Pour moi, c’est un mode de vie. J’ai d’ailleurs 3 vélos différents. Un VAE pour le quotidien, un vélo pliable pour les déplacements qui nécessitent de prendre le train et vélo de route pour me dépenser.
La place de la femme dans son métier : selon moi, la féminisation est en cours. Je ressens un changement de mentalité. Dans mon précédent job, j’étais la seule femme avec la comptable. Chez Cyclable Paris, nous sommes 5 dont 4 à des postes clés, cheffes d’équipe ou manager. Cette mixité est une richesse à tous les plans. Pour notre organisation interne, mais aussi pour répondre aux attentes des clients. Nous accueillons de plus en plus de femmes qui n’ont pas envie de se retrouver confronter à une ambiance « garage de voiture » en entrant dans les magasins. Auprès d’une oreille féminine, elles sont plus à l’aise pour demander conseil.
Le jargon du vélo aussi évolue. Avant, on parlait de cadre femme et cadre homme. Aujourd’hui, on préfère cadre ouvert ou cadre fermé. Je fais partie de celles qui militent pour ancrer ce nouveau lexique dans les mœurs. Inutile de cloisonner les pratiques. Monsieur peut très bien vouloir mettre un siège bébé à l’arrière de son vélo ou aller travailler en costume et trouver une utilité à un cadre ouvert.
Mais nous partons de loin. Quand j’étais mécanicienne, j’ai régulièrement subi des réflexions misogynes. Des clients refusaient parfois que je touche à leur vélo. On me prenait pour la copine du mécanicien. On ignorait mes conseils pour poser exactement les mêmes questions à mon homologue masculin…
Ses pistes pour faire changer les choses : lorsque j’ai passé mon CQP cycle, tous les formateurs étaient des hommes. Et certains avaient des préjugés pas toujours agréables. Dans l’esprit de beaucoup, les rares femmes qui suivaient le cursus étaient destinées à la vente. Ils les imaginaient devenir caissières, pas mécaniciennes…
Il y a vraiment un effort à faire auprès des formateurs. Ils participent à l’éducation de nos futurs collègues. S’ils débarquent dans la profession avec en tête que les femmes n’aiment pas se salir les mains et ne savent pas réparer une crevaison, on est mal parties !
Un vélo ou une bicyclette ? : Le vélo est asexué pour moi. Il a la personnalité qu’on lui donne. Et c’est ça qui est cool !
Valérie Filippini

Age : 54 ans
Profession : chargée de travaux chez Cyclable
Le vélo pour elle : usage loisir
Son parcours : j’ai un diplôme en Architecture. Après avoir un peu travaillé en agence, je me suis intéressée à l’agencement de magasin. J’ai rejoint un maître d’œuvre qui comptait parmi ses clients de grosses enseignes comme Eram ou Maisons du Monde.
Je suis restée plus de 20 ans à ses côtés au cours desquels j’ai vu le métier évoluer. Lorsque mon employeur est parti à la retraite, je me suis accordé une année pour réfléchir à la suite de ma carrière. J’ai fait des formations dans la rénovation énergétique des bâtiments ou dans la construction paille avec une volonté d’aller vers une approche plus durable et vertueuse de ma profession. En intégrant Cyclable, en août dernier, j’ai trouvé l’opportunité d’allier mon travail et mes convictions !
Sa vie à vélo : je suis pratiquante dans le cadre de mes loisirs. Pour l’heure, je viens au travail en transport en commun, mais au retour des beaux jours, j’aimerais bien faire une partie du trajet à vélo. J’envisage d’utiliser un vélo pliant à ma sortie du train, à la gare de Lyon-Part-Dieu.
La place des femmes dans son métier : même si je travaille encore essentiellement avec des hommes, les femmes sont en train de faire une percée dans mon univers professionnel. Le métier d’architecte attire de plus en plus un public féminin. Elles s’imposent aussi tout doucement à d’autres postes sur les chantiers. Sur l’un de nos projets en cours, c’est une femme qui suit les travaux en collaboration avec le maître d’œuvre. C’est une femme aussi qui dirige l’entreprise de climatisation.
A titre personnel, j’ai rarement été confrontée à des remarques misogynes. Mais dans ce milieu, largement masculin, on n’est jamais à l’abri d’une réflexion déplacée. Si vous arrivez sur un chantier avec un homme, on vous considérera comme sa subordonnée. On pourra remettre en cause vos compétences en vous posant des questions idiotes comme si vous ne saviez pas lire un plan. D’autres hommes essaieront de jouer de leurs charmes ou d’instaurer un rapport de domination. Avec l’expérience, on apprend à ne pas se laisser duper. Pour ma part, j’ai toujours eu le sentiment d’apporter autant qu’un homme sur les chantiers.
Ses pistes pour faire changer les choses : pour ma part, j’accorde plus d’attention à la personnalité des gens avec qui je travaille qu’à leur genre. Je préfère m’intéresser à leur parcours, à leurs compétences. Cette approche évite de tomber dans les clichés, de faire des généralités. Une femme est tout aussi capable de diriger qu’un homme ou d’exceller techniquement. Malheureusement, à cause des stéréotypes actuels, elle devra consentir des efforts supplémentaires pour le prouver.
Un vélo ou une bicyclette ? : Je dirai que le vélo n’a pas de genre. Surtout dans le domaine dans lequel Cyclable est positionné : le vélo comme mode de déplacement. Emmener les enfants à l’école le matin, pédaler pour aller travailler, c’est autant une affaire d’hommes que des femmes.
Meri Tuomi
Age : 34 ans
Profession : technicienne cycle chez Cyclable Marseille Vélodrome
Le vélo pour elle : déplacements du quotidien et itinérance
Son parcours : je suis originaire de Finlande. Là-bas aussi, le monde de la mécanique est dominé par les hommes. Si j’ai choisi d’en faire mon métier, c’est parce que j’adore travailler avec mes mains, que je suis captivée par la culture DIY (Do It Yourself) et que le vélo me passionne. J’ai acquis mon savoir-faire en travaillant pour différentes associations. J’ai rejoint Cyclable en juin dernier. Ici, je continue à apprendre tous les jours.
Sa vie à vélo : Je ne suis pas une cycliste professionnelle, mais j’aime beaucoup pédaler. Je l’utilise pour mes déplacements du quotidien et aussi pour partir en voyage. J’apprécie beaucoup l’itinérance longue distance. J’ai par exemple effectué un périple de 3 mois autour de la Scandinavie en passant par le Danemark, la Suède, la Norvège et la Finlande. Les étapes faisaient entre 50 et 100 kilomètres par jour.
La place des femmes dans son métier : je n’ai que des collègues masculins, mais tout se passe bien car ils sont particulièrement bienveillants. J’ai déjà subi par le passé quelques remarques sexistes de la part de clients qui n’avaient, semble-t-il, jamais vu de femmes dans un atelier. Il est arrivé qu’on me demande d’appeler mon chef parce qu’on ne me faisait pas confiance. A chaque fois, j’ai essayé de prouver que ces a priori n’avaient pas de sens et que j’avais le même savoir-faire qu’un homme.
Aujourd’hui, les mentalités évoluent. On ne remet que très rarement en doute mes capacités. Il arrive encore que des gens soient surpris en découvrant une mécanicienne, mais désormais, c’est généralement en bien.
Ses pistes pour faire changer les choses : pour inclure dans ce métier plus de femmes et de personnes trans, non binaires ou non conformes au genre, il faut en finir définitivement avec le sexisme dans les ateliers et la dépréciation de nos compétences. Il faut que les esprits changent à l’échelle de toute la société. De meilleures options d’éducation pour devenir mécanicienne doivent également voir le jour. La multiplication des ateliers d’auto-réparation ouverts à tous et dotés de bons outils est également une bonne chose. Dans ces endroits, les filles peuvent découvrir la mécanique dans de bonnes conditions.
Un vélo ou une bicyclette ? : C’est un instrument de liberté pour tous alors, pour moi, le vélo n’est ni masculin, ni féminin.
Séverine Salvini

Age : 47 ans
Profession : gestionnaire de comptes chez Kalkhoff (fabricant allemand de vélos)
Le vélo pour elle : VTT, itinérance, gravel
Son parcours : comme beaucoup, je suis arrivée dans le monde du vélo après une reconversion professionnelle. A l’origine, j’ai un bagage scientifique : un doctorat de biochimie. Mais mon travail de recherche en labo pharmaceutique manquait de concret, de résultats tangibles et immédiats. J’ai donc cherché à changer de métier. Comme le vélo me passionne depuis toute petite, j’ai entrepris de passer un CQP cycle en formation courte. J’ai travaillé 6 mois auprès d’une enseigne nationale avant d’intégrer un petit magasin indépendant. Je faisais 70 % de mécanique et 30 % de vente. C’est là où j’ai le plus appris. Après 4 ans, désirant évoluer, j’ai répondu à une annonce de Cyclable pour un poste de création de magasin à Lyon. Une autre aventure de 4 années. Puis Kalkhoff m’a proposé de rejoindre ses rangs. J’ai saisi l’opportunité, je suis passée côté fabricant. Je suis devenue la première représentante femme de la marque sur 50 personnes.
Sa vie à vélo : j’aime le vélo sous toutes ses formes. Enfant, j’ai fait du BMX. Lorsque je travaillais à Lyon, j’utilisais mon vélo au quotidien pour mes déplacements. Aujourd’hui, je m’en sers dans le cadre de mes loisirs : une sortie à VTT, deux jours d’itinérance, une échappée en gravel…
La place des femmes dans son métier : en 12 ans de carrière dans le vélo, j’ai sans doute subi moins de 5 comportements misogynes. Au contraire, en tant que femme, j’ai eu le sentiment d’être accompagnée avec un peu plus de bienveillance. Peut-être parce que les filles sont rares dans le milieu. C’était vrai quand j’ai débuté en 2010. Ça l’est toujours aujourd’hui. La féminisation de la filière patine. Je suis en relation avec 50 magasins pour le compte de Kalkhoff. Un seul est tenu par une femme.
Ses pistes pour faire changer les choses : est-ce que je vais être crédible en tant que femme dans cet environnement masculin ? Voilà la première question que je me suis posée en intégrant le monde du vélo. Pour être prise au sérieux, il est indispensable d’asseoir une connaissance technique sans faille. Plus qu’un homme, il faut montrer son envie d’apprendre et sa motivation. Il ne faut jamais hésiter à poser des questions, à demander de l’aide. J’espère que de plus en plus de femmes s’engageront dans l’univers du vélo. Ce serait une bouffée d’oxygène pour toute la filière. Plus équilibrées, les équipes s’en trouveraient renforcées. D’autres façons de communiquer ou d’appréhender les enjeux actuels du marché verraient le jour. Quel que soit le domaine, la diversité est bénéfique.
Un vélo ou une bicyclette ? : Une bicyclette, oui, c’est sans doute plus joli, plus aérien, plus romantique, mais par habitude, je préfère utiliser le terme vélo !