Depuis quelques années, les ventes de vélos cargo atteignent des sommets. Pourquoi ce vélo à tout faire se taille-t-il un tel succès ? Qui sont ses utilisateurs ? Quelle est l’ampleur de sa percée ? Avec l’aide de spécialistes, on décortique ce phénomène qui, en ville, révolutionne la mobilité en se substituant à la voiture.
En 2020, les ventes de cargo flambent de 354%
C’est un avatar de la transition écologique, une des figures de proue de la mobilité 2.0, durable et active. Limité encore il y a peu à un usage confidentiel, le vélo cargo a, ces trois dernières années, amorcé une conquête fulgurante du grand public. Aujourd’hui, la silhouette caractéristique de cet utilitaire à pédales a cessé d’apparaître comme une curiosité. Triporteurs, biporteurs et longtails fleurissent aux abords des crèches et des écoles, sur les marchés ou encore entre les mains des artisans et des professionnels de la livraison.
Depuis 2020, le marché du cargo en France est en ébullition. Bien qu’il ne représente que 3% des ventes totales de cycle, le segment est, de loin, le plus dynamique de la filière vélo. « Aucune autre catégorie de produits ne progresse aussi vite », confirme Thomas Boury, acheteur chez Cyclable.
L’Union Sport et Cycle fédère les professionnels de la planète vélo. Chaque année, l’organisation scrute les évolutions du marché. Et ses dernières observations sont sans équivoque. Depuis le début de la décennie, le cargo a pris une nouvelle dimension :
- En 2020, année charnière, les ventes de vélos cargo, toutes catégories confondues, ont bondi de 354%, en France.
- En 2021, le vélo cargo a confirmé sa vigueur exceptionnelle avec une hausse des ventes de 54%.
Dans le même élan, les points de vente se sont multipliés, les enseignes Cyclable en tête. Précurseur et leader en la matière, le réseau a même ouvert, fin 2019, une première boutique entièrement dédiée à l’univers du cargo, à Paris.
Côté fabricants, le paysage est également en pleine mutation. L’effervescence du marché attire des acteurs qui avaient ignoré le segment jusqu’à présent. « Historiquement, le cargo était une affaire de spécialistes comme Yuba ou Babboe. Mais désormais, il apparaît au catalogue des marques généralistes. Tout le monde souhaite se positionner sur segment devenu incontournable. Trek et Moustache avec un longtail, Gazelle avec un biporteur. Même les grandes surfaces du sport prennent le train en marche », analyse Thomas Boury.

Le cargo, une alternative crédible à la voiture
Pourquoi cet engouement autour du vélo cargo ? Sans doute parce qu’il répond à des enjeux sociaux et environnementaux qui, ces dernières années, se sont fait de plus en plus prégnants. En ville, le modèle qui consacrait la suprématie de l’automobile est à bout de souffle. Pratique, efficace, non-polluant, bon pour la santé, le vélo cargo, apparaît plus que jamais, comme une alternative crédible à la voiture. Alexandre Lemoine travaille pour Riese & Müller, en France, une marque pionnière de la mobilité durable et de la solution cargo. Il explique : « Pour accompagner les enfants à l’école ou pour aller faire les courses, le cargo n’a rien à envier à la voiture. Au contraire, il la supplante dans la plupart des situations du quotidien. Derrière le guidon, pas d’embouteillages, ni de problèmes de stationnement. On fait du sport sans s’en apercevoir et on partage un moment fun avec les enfants tout en étant en phase avec sa conscience écologique. »
Autre argument en faveur du cargo : le coût ! Même si le prix à l’achat peut paraître élevé — entre 4000 et 6000 euros en moyenne — la dépense s’avère limitée dès qu’on la compare au budget nécessaire pour se déplacer en voiture. Opter pour le cargo, c’est faire des économies (d’autant que de nombreuses aides à l’achat existent). Une réalité que la crise énergétique actuelle ne fait que renforcer. « Carburant, assurance, parking… On gagne sur tous les plans. Dans la plupart des foyers, l’achat d’un cargo est un acte financièrement raisonné et réfléchi », confie Alexandre Lemoine.
Le déclic ? Il se produit souvent à la sortie de l’école. « Il y a un vrai effet boule de neige. Il suffit qu’une famille arrive un matin en cargo pour que d’autres s’y intéressent et poursuivent ce mouvement. Le bouche à oreille alimenté par des usagers satisfaits, c’est notre meilleure publicité ! »

Une longueur d’avance pour le vélo rallongé
Pour accompagner les Franciliens sur le chemin de la mobilité active, le service Véligo propose, depuis 3 ans, des vélos à assistance électrique à la location pendant 6 mois. Le principe : essayer avant d’acheter. 70000 personnes ont déjà bénéficié de ce dispositif qui, début 2021, a ajouté à sa flotte de VAE classiques des vélos cargo. « Trois modèles sont proposés aux usagers : un triporteur, un biporteur et un vélo rallongé. De quoi répondre aux besoins d’un public plus large et notamment des familles », explique-t-on chez Véligo.
2621 souscriptions ont déjà été enregistrées. 698 sur les triporteurs, 1103 sur les biporteurs et 820 sur les vélos rallongés, derniers à avoir été mis en circulation en septembre 2021. « C’est actuellement le modèle le plus demandé par les Franciliens », précise-t-on chez Véligo.
Une tendance qui se vérifie à l’échelle nationale. Sur le marché du cargo, le longtail a pris une longueur d’avance. « Depuis deux bonnes années, le vélo rallongé a explosé, dans les hypercentres en particulier. Il devance les biporteurs qu’on retrouve davantage en périphérie », détaille Alexandre Lemoine. Les triporteurs suivent à bonne distance en, queue de peloton.
Comment expliqué cette domination du vélo rallongé ? Probablement grâce à sa compacité et à son extrême polyvalence. « Les longtails se conduisent comme des vélos classiques. Ils suscitent moins d’appréhension à la prise en main que les biporteurs, plus volumineux, notamment chez les néophytes. Leur gabarit facilite également le stockage qui, dans les grandes villes, constitue une vraie problématique. Ils sont parfaits pour transporter les enfants, faire son marché, mais aussi pour se faufiler dans la circulation sur un trajet vélotaf ou aller se balader en famille le week-end. Le longtail, c’est le vélo couteau-suisse par excellence », résume Alexandre Lemoine.

Après le longtail, place au midtail et au shortail !
En plein essor, le vélo rallongé est devenu un marché à part entière qui connaît désormais ses propres déclinaisons. Ainsi voit-on apparaître au catalogue d’un nombre croissant de fabricants des midtails et des shortails. Encore plus petits, mais toujours aussi costauds, ces derniers nés du clan longtail exploitent à l’extrême les qualités qui ont fait le succès de leur grand-frère. « Ces nouveaux vélos bien que très compacts appartiennent toujours à la famille des cargos car ils conservent une capacité de charge élevée. Chez Riese & Müller, le Multitinker, qui sortira en janvier 2023, est doté d’un empâtement réduit et de roues de 20 pouces. Ce qui ne l’empêche pas de pouvoir transporter deux enfants ou jusqu’à 65 kg sur le porte-bagages arrière », annonce Alexandre Lemoine.
Ce cargo modèle réduit vient boxer dans la catégorie de l’emblématique Tern GSD ou du Moustache Lundi 20. « Le marché sur ce segment est en plein développement. Il y a un potentiel considérable pour ces petits vélos faciles à enjamber et à prendre main. Compacts, stables et maniables, ils rassurent et offrent une capacité de transport élevée », poursuit le collaborateur de chez Riese & Müller.
De manière générale, le marché du cargo tend à se spécialiser. Une façon de répondre aux attentes d’un public toujours plus nombreux et diversifié. « L’offre s’est élargie pour contenter des usagers dont les besoins diffèrent. Des efforts ont notamment été consentis pour satisfaire les familles. Plutôt que de penser le cargo uniquement comme un utilitaire à l’état brut, nous l’envisageons également comme un monospace, à la fois pratique, ludique et confortable notamment grâce à des sièges réglables, une assise matelassée, des ceintures très sécurisantes. En parallèle, toute une gamme d’accessoires a été développée pour permettre à chacun de personnaliser son vélo selon son profil et son utilisation », détaille Alexandre Lemoine.

Les familles urbaines accrocs au vélo cargo
Justement, qui sont précisément les usagers du vélo cargo ? Les familles sont les plus nombreuses à investir dans ces véhicules pratiques, efficaces et écolos. Chez Véligo, on a brossé un portrait plus détaillé de l’utilisateur type en Ile-de-France. « Il ou elle a en moyenne 38 ans et réside dans Paris intra-muros. Hommes et femmes sont en effet représentés à part égale. Quant à l’influence de notre service, elle décroit à mesure que l’on s’éloigne du cœur de la capitale. »
Le cargo, un phénomène essentiellement urbain ? Le boom est effectivement nettement plus marqué dans les hypercentres des grandes métropoles. Mais le cargo semble également avoir un avenir en périphérie voire en milieu rural. « On essaye de développer son usage en dehors de Paris en encourageant à l’intermodalité via des parkings relais ou des stations de RER, par exemple », indique-t-on chez Véligo.
Côté fabriquant, on propose également des solutions destinées aux habitants éloignés des centres-villes. « On dispose de cargos, biporteurs ou longtails, équipés de moteurs permettant d’atteindre 45 km/h. Des modèles high speed particulièrement adaptés aux grandes distances et aux personnes résidant en périphérie. Avec ce type de véhicule, un trajet vélotaf de 20 à 40 km n’est plus un obstacle », souligne Alexandre Lemoine.

Le marché du B2B également en plein essor
Autre profil d’utilisateur en pleine recrudescence : les professionnels. A commencer par les spécialistes de la livraison. « Rejoindre le cœur des grandes métropoles avec une camionnette est de plus en plus compliqué. La saturation des centres urbains, la multiplication des zones à faibles émissions obligent les prestataires logistiques à s’adapter. Le cargo est la solution idéale pour assurer leurs missions sur les derniers kilomètres », commente Alexandre Lemoine.
Mais le phénomène dépasse la seule sphère de la livraison. Artisans et libéraux investissent également en nombre dans le cargo. « Plombiers, serruriers, fleuristes, traiteurs, les exemples ne manquent pas. Beaucoup sont las de perdre du temps dans la circulation et de payer cher en stationnement. Là encore, nous proposons des solutions à la carte avec des modèles dotés de plateaux ou de caisses modulables selon les besoins de chacun. »
Le cargo peut-il encore conquérir d’autres publics ? Très probablement, car en France, sa marge de progression reste considérable. En 2021, il s’est vendu 17000 vélos cargo dans l’Hexagone. Dans le même temps, 230 000 trouvaient preneur en Allemagne… « Je pense que dans un avenir proche, le cargo s’imposera dans toutes les sphères de la population même au-delà des familles et des professionnels », confie Alexandre Lemoine.
A l’heure où les centres urbains tournent massivement la page du tout voiture, un avenir radieux semble se dessiner pour le cargo. Ce vélo ultra polyvalent paraît tout désigné pour incarner le renouveau de la mobilité en ville et devenir un véritable phénomène de société. La révolution cargo, sans doute, ne fait que commencer !